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Alain Galindo, de l'écrivain au lecteur
2 février 2010

Le syndrome Kafka

Extraits de textes


49299087

Les bureaux étaient aux trois quarts vides mais pour le plus grand bonheur de Gérard, derrière le guichet des formulaires "naissances et décès", Ophélie se limaient encore les ongles. En le voyant, elle afficha le sourire administratif en vigueur dans ce service, genre mielleux, condescendant, légèrement triste, au cas où.
- Bonsoir Ophélie.
- Bonsoir Gérard, tu as mes papiers ?
- Non, ils sont en train de sécher. Par contre, il m'en faut un.
- Oui ?
- Figure-toi qu'Edouard est mort hier.
- Je l'ai entendu dire, une rumeur là-dessus. C'est donc vrai. De quoi est-il mort ?
Gérard n'aimait pas mentir, mais là, il fallait bien. Il devint légèrement rosé.
- Ben, je veux pas le dire trop fort, mais je crois qu'il s'est suicidé par infarctus.
- Mince ! Je n'aurais jamais cru ça de lui. Comme quoi ! Alors il te faut le formulaire pour les suicides en milieu carcéral, c'est ça ?
- Voilà.
Elle se leva, ouvrit une armoire, fouilla et revint avec deux feuilles.
- Voilà, il faut qu'il remplisse ça…
Elle lui montra l'attestation.
- ...et ça.
Le formulaire Sui-6-Bis.
- Tu sais Ophélie, je ne crois pas qu’il puisse remplir l'attestation.
- Tu n'as qu'à la remplir toi-même…
- Ah ! Je suis soulagé, tu comprends, je me voyais déjà parti dans une galère de paperasserie…
- …il n'aura qu'à la signer.
Gérard s'arrêta net.
- La signer ?
- Oui, ici, c'est écrit.
- Mais, Ophélie, il ne peut plus la signer.
- Il me faut pourtant sa signature.
- Il est mort. Tu vois ce que je veux dire par là, non ?
- Il me faut sa signature, ici, c'est écrit, tu vois ?
- Je le vois bien, Ophélie, mais il est froid et … raide. Il ne peut pour ainsi dire plus bouger.
- Il me faut sa signature.
- Sinon ?
- Sinon, je bloque le dossier. Pas d'inhumation.
- Tu peux pas me faire ça ! Il est déjà dans la boîte, il fermente.
- Il me faut sa signature.
- Il est mort hier. Il commence déjà à sentir, je te dis…
- Il n'avait qu'à se suicider en accord avec le règlement. Je n'y peux rien. Signature. Là.
Elle déposa les feuilles sur le guichet, regarda Gérard avec son sourire administratif numéro neuf, "j'ai fait le maximum pour vous monsieur", et reprit sa lime.
Gérard prit les formulaires et descendit.
Quand Robin l'interrogea du regard, il répondit:
- Il faut qu'il signe son attestation.
- Je vais le faire.
Gérard ouvrit de grands yeux.
- Grand Dieu ! Non ! On ne peut pas faire ça !
Robin regarda la boîte.
- Tu ne veux tout de même pas le lui demander ?

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